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 Enquête. Legs d’un duc à Tanger

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MessageSujet: Enquête. Legs d’un duc à Tanger   Enquête. Legs d’un duc à Tanger I_icon_minitimeMar 26 Mai - 17:26:51

Enquête. Legs d’un duc à Tanger

Le peintre espagnol Carlos Ibarra,
fréquentatait régulièrement les
soirées du duc de Thovar (DR)
Le Duc de Thovar a laissé à Tanger une fortune considérable faite de terrains, de meubles, d’œuvres d’art et d’autres joyeusetés. Plus d’un demi-siècle après sa mort, on ne sait toujours pas qui a subtilisé ce legs fabuleux.


C'est Le Journal de Tanger qui avait été le premier à soulever au début des années 90 l’affaire de l’héritage du duc de Thovar. En remettant à l’ordre du jour le litige relatif au terrain de Vittoria légué à Tanger par le duc de Thovar, le journal va donner un véritable coup de pied dans la fourmilière, qui vaudra
à son directeur de se retrouver derrière les barreaux en décembre 2003, au terme de quelques années d’un procès ubuesque. (Voir encadré p.72).
On avait essayé à l’époque de circonscrire l’affaire du duc de Thovar à une histoire rocambolesque d’opposition à la vente d’un terrain faisant partie de l'héritage du duc, situé dans la ville de Vittoria, en Espagne, au profit de la société Aretio. La société, qui détenait un compromis de vente délivré en 1955 par l’administration internationale de Tanger, avait à plusieurs reprises fait état de sa volonté d’apurer ce dossier en procédant à l'acquisition finale. Chose qui n’avait pu se faire parce qu’à "chaque fois, on avait affaire à un intermédiaire qui se proposait de régler l’affaire moyennant un gros bakchich", rapporte une source proche des Espagnols.
Les véritables questions n’ont d’ailleurs jamais été relevées par les magistrats au cours de ce procès. Les points d’interrogation abondent : que sont devenus le coffret de bijoux qui se trouvait dans le bureau du premier gouverneur de Tanger, les tableaux de grand maîtres, les villas et autres biens immobiliers situés à Tanger, les meubles d’époque, les actions de la société Cementos, le fameux compte bancaire domicilié à la BMCE et qui est alimenté par des dividendes provenant d’une société pétrolière de Londres ?
L’affaire remonte à l’indépendance. Mort en 1952, le duc de Thovar avait laissé un testament dans lequel, il léguait toute sa fortune à un hôpital d’oncologie de New York et dans le cas où cet hôpital refusait la légation, l’ensemble des biens et autres actions en bourse devaient revenir à la ville de Tanger. C’est le premier gouverneur de Tanger nommé juste après l'indépendance en 1956, Abdallah Guennoun, qui avait eu la garde des objets de valeur du duc, notamment un coffret de bijoux de très grande valeur, des devises, des tableaux de maîtres et des meubles d’époque.
"Le gouverneur pris par ses fonctions de chef de la Ligue des Oulémas du Maroc et de directeur de l’Institut d'études religieuses entre autres, ne s’occupait guère de la gestion politique locale et les biens du duc, laissés dans ses bureaux, ont été subtilisés après son départ, au fur et à mesure" rappelle cet ancien fonctionnaire de la wilaya de Tanger. Tous ces objets de valeur auraient été subtilisés petit à petit, de nomination en nomination de gouverneurs successifs.
On raconte aussi que, de nombreux tableaux d’une valeur inestimable auraient fait le voyage de Tanger à Rabat pour orner les salons de ministres et de personnalités proches du sérail. Des noms de personnalités intouchables se murmurent dans les salons feutrés de la bourgeoisie tangéroise, mais l’omerta reste de mise, personne n’osera avancer la moindre preuve, le moindre indice et on parlera toujours à visage couvert. "Un tableau de grande valeur avait été prêté pour être exposé au sein du siège du Conseil Supérieur de la Magistrature à Rabat, mais on ne l’a plus revu depuis" rapporte un fonctionnaire du conseil de la ville. Une partie des biens a bien été vendue par le Conseil Municipal de Tanger dans les années 60, sous la présidence de Abaroudi, pour construire l’hôpital qui porte toujours le nom du duc de Thovar. Mais, sur cette question, on ne sait pas quelle a été la recette des ventes opérées et quel budget a été réellement consacré à la construction dudit hôpital.
Pour le maire de la ville, l’affaire ne mérite pas tant de bruit. "Et surtout, rappelle Dahman Derham, je ne sais pas pourquoi les gens se focalisent sur les bijoux et autres biens dont on ne sait aujourd’hui quel chemin ils ont pris. Pour moi, les terrains sont bien plus importants et nous avons chargé une commission juridique de faire la lumière sur cette affaire". Il ajoute qu’une affaire aussi délicate nécessite la mise sur pied d’une commission composée de représentants du ministère de l’Intérieur, des Affaires étrangères et du Conseil de la ville.
Quant aux dividendes qui proviennent de Londres, le maire précise qu’ils sont récupérés par le trésor via la BMCE et sont par la suite investis dans des projets concernant la ville et surtout dans la maintenance de l’hôpital duc de Thovar. En réalité, le maire a été contraint de dépoussiérer le dossier de l’héritage du duc et de le remettre, à contre-cœur, à l’ordre du jour. En effet, l’Association pour la Défense du patrimoine et des biens de la ville de Tanger, qui vient d’être créée a tracé un programme préliminaire de ses actions dont la première consistera à déterrer l’affaire dite “duc de Thovar”. L’un des membres fondateurs de l’association estime que l’opinion publique locale, mais également nationale a un droit de regard sur un dossier qui ne relève pas uniquement des prérogatives du ministère de l’Intérieur et du président actuel du Conseil de la ville, Dahman Derham, surtout que ce dernier a occupé auparavant les fonctions de président du Conseil municipal de Tanger.
Même fièvre du côté des conseillers qui siègent aux côtés de Derham. Une lettre signée par le député Bakkali Tahiri et par d’autres conseillers avait été adressée, il y a quelques mois de cela, au maire pour lui demander de faire la lumière sur ce dossier. Les conseillers envisageaient même d’avoir recours à une motion de censure pour exiger du maire la tenue d’une session extraordinaire consacrée essentiellement "à la dilapidation de l’héritage du duc de Thovar".
D’autant plus que pour un historien tangérois comme Tayeb Boutboukalt, "si on se réfère au Tanger des années 30, on peut estimer sans aucun doute que la fortune du duc de Thovar correspond bel et bien à un héritage colonial pillé razzié sur les richesses de la région".
Sur le personnage, on ne sait pas grand-chose. Le duc de Thovar était un personnage public certes, mais secret. Il s’entourait tellement de précautions dans ce Tanger des années trente -passage obligé des espions occidentaux et des barons de la mafia sicilienne- qu’il est difficile de retrouver des traces de son parcours.
Le duc avait édifié son sanctuaire sur le Jbel Lkébir , c’est là où il recevait la jet set de l’époque et tout le gotha de la noblesse européenne, ducs, duchesses et autres barons. Les bals masqués du duc de Thovar étaient particulièrement prisés par tout ce que comptait Tanger comme acteurs, artistes, écrivains peintres et autres diplomates. L’endroit était merveilleux. On se serait cru à Hawaï, dans ces montagnes couvertes d’arbres qui laissent à peine filtrer la lumière. La résidence, une magnifique bâtisse coloniale avait été rachetée par le célèbre journaliste américain du Times, Walter Harris, avant de se retrouver par on ne sais quel tour de passe passe entre les mains du pacha Glaoui au cours des années quarante. Walter Harris, le célèbre journaliste américain kidnappé par les Rifains au cours des années 30 avait acquis pas moins de cinq demeures à Tanger. Aujourd’hui, la villa vient d’être rachetée par un millionnaire français qui en a fait une maison d’hôte, du nom de Villa Joséphine.
Grâce à des tarifs exorbitants, Jean-Marie Fies a réservé l’accès de la villa Joséphine à une clientèle internationale haut de gamme, "c’est un choix imposé par ce type de clients qui aiment la discrétion et par dessus tout se retrouver entre eux" se défend-il. Par nostalgie, peut-être, sa clientèle est composée essentiellement de ducs, de duchesses et autres membres de la noblesse occidentale qui y croisent souvent des membres de la famille royale marocaine.
Le quartier de Sidi Masmoudi, en haut duquel est perchée la Villa Joséphine, est d’ailleurs le repaire de la jet-set locale. La plupart des "châteaux bâtis à flanc de montagne" appartiennent à des Occidentaux installés depuis longtemps à Tanger, quand ce n’est pas à des barons de la drogue notoires. Le duc était également célèbre dans le monde de la corrida, puisque les taureaux de son élevage situé dans la région de Vittoria étaient parmi les bêtes les plus prisées en Espagne. Depuis 1914, il élevait de nombreuses bêtes de race concurrençant de près les fameux "toros" du marquis d’Albaserrada. à Tanger, c’était également la belle époque des corridas couverte de pourpre et d’argent auxquelles le duc, suivi par une "smala" de courtisans prenait plaisir à assister.On rapporte que l’écrivain de la beat generation, Williams Burroughs, de retour d’une soirée chez le duc de Thovar, avait commis sa fameuse citation "Tanger est vraiment le pouls du monde, comme un rêve s'étendant du passé au futur, une frontière entre rêve et réalité remettant en question la "réalité" de l'un comme de l'autre. Ici, personne ne sait ce dont il a l'air". Le mystère qui planait sur la personnalité du Duc le poursuivra même après sa mort. Si on ne sait pas vraiment qui il était, connaîtra-t-on un jour l’ampleur de sa fortune et de son legs ? Affaire à suivre.
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MessageSujet: Re: Enquête. Legs d’un duc à Tanger   Enquête. Legs d’un duc à Tanger I_icon_minitimeMar 26 Mai - 17:27:20

Procès. La fausse affaire duc de Thovar
En 1998, on va tenter d’enterrer l’affaire de la fortune du duc de Thovar par un procès expéditif centré sur des seconds couteaux voire quelques boucs émissaires sans liens établis avec l’affaire. Trois ans fermes pour chacun des trois prévenus dans l'affaire du terrain de Vitoria, plus connue sous le nom d’affaire du "duc de Thovar", tel a été le verdict qui avait été rendu par le président de la Chambre criminelle près la Cour d'appel de Tanger, le 16 décembre 1998.
L’avocat espagnol Vergara, Ouzani et Abdelhak Bakhat, le directeur du Journal de Tanger, avaient comparu devant la Cour d’Appel de Tanger "pour complicité dans la falsification d’un document de désistement de l’opposition à la vente d’un terrain à Vittoria, au pays basque espagnol, à la société Aretio, détentrice d’un compromis de vente établi en 1955 avec l’Administration internationale de Tanger".
Alors que le conseil de la ville avait chargé un avocat de s’opposer à la vente du terrain légué par le duc de Thovar aux Espagnols, un document signé par le maire de Tanger avait donné tout pouvoir pour finaliser la vente. Il s’est avéré par la suite, après expertise, que le fameux document était plutôt authentique. De plus, ce document n’a jamais été utilisé pour la vente du terrain en question.
Abdelhak Bakhat, personnage controversé, qui avait beaucoup d’ennemis, avait eu, en plus l’outrecuidance de se faire élire dans l’équipe du conseil municipal. Grande gueule, toujours prompt à casser du sucre, dans les colonnes de son journal, sur le dos des magistrats et des agents d’autorité de l’époque, il sera entraîné dans un procès aux relents politiques certains. Par ce procès ubuesque, marqué par des contradictions flagrantes, on avait cru enterrer l’affaire du duc de Thovar. Sept ans plus tard, elle ne fait que commencer.
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