Le Blog ou la vie
de Pierre Assouline[Histoire et Actualité]
Résumé du livre
Assouline aborde son expérience de blogueur et intègre dans ce volume une sélection des meilleurs commentaires - classés par entrées thématiques - tirés de son blog culturel, qui participe à sa manière au renouvellement de la conversation littéraire.
Pierre Assouline par Léo Scheer
Par Florent Georgesco, mardi 2 septembre 2008 :: #744 :: rss
Après Christophe Henning, je poursuis ma série de mises en ligne du travail des nouveaux chroniqueurs de la revue avec cet article de Léo Scheer, à qui je souhaite la bienvenue, sur Pierre Assouline (que vous connaissez aussi sans doute).
Pierre Assouline, Brèves de Blog
, Les Arènes, 360 pages, 19,80 eurosDepuis quatre ans, Pierre Assouline est au centre d’une petite révolution, celle des rapports entre les médias et les livres. « La République des livres », son blog hébergé par
Le Monde.fr, est devenu incontournable pour les éditeurs, les libraires, les journalistes et les lecteurs. Son influence, son impact sur la vie d’un livre, deviennent comparables à ceux des grandes revues d’autrefois ou de certaines émissions de télévision. Ce n’est plus une question d’audience ou de chiffres de ventes en kiosque, c’est devenu une question de « buzz », liée à la pertinence et à la qualité de la démarche. Aujourd’hui, dans
Le Blog ou la vie, tel un projectile lancé au cœur de la rentrée littéraire, Pierre Assouline se penche sur cette expérience passionnante.
La vitesse avec laquelle le phénomène s’est imposé tient à une mystérieuse alchimie qui porte un nom résonnant de façon barbare aux oreilles littéraires : la « blogosphère ». Le blog est dialectique. Il se compose de deux parties : d’une part le « billet », rédigé par le « blogueur » (ici, l’ancien patron du magazine
Lire), d’autre part les « commentaires » rédigés par les « internautes », eux-mêmes souvent « blogueurs », qui interviennent, pour la plupart, derrière un pseudonyme. (« Le pseudonyme est une identité », dit Pierre Assouline.) Le « big bang » de la « blogosphère » est produit par la rencontre de ces deux particules élémentaires qui vont donner lieu à une « réaction en chaîne » extraordinaire et insoupçonnée, dont seul Montaigne avait eu la prescience dans son
De l’art de conférer : une « conversation ». Pour avoir vécu l’importance de cette mutation, Pierre Assouline a préféré présenter dans ce livre les extraits les plus significatifs des commentaires de son blog (plutôt que de reprendre ses propres billets), précédés d’une introduction, baptisée « Le nouvel âge de la conversation », de telle sorte que le livre se présente de la même manière que le blog : un billet de soixante pages et trois cents pages de commentaires regroupés par l’auteur de façon thématique, où l’on retrouve toutes les « stars » du commentaire – Montaigne à cheval, Ramiel, Alain Baudemont, Ange et démon, Traube, Clopine Trouillefou, Opitz43, etc.
Si « La Critique de la raison blogosphérique » reste à écrire, comme le dit l’auteur, il nous en fournit dans ce préambule une esquisse lumineuse : « Qui osera écrire le premier
Traité de conversation à l’usage des temps nouveaux ? Si ce recueil l’inspire, il n’aura pas été conçu en vain. Lorsque la blogosphère aura sécrété ses propres théoriciens et exégètes, il s’en trouvera sûrement pour faire de la causerie en ligne “une science juive comme la psychanalyse” (air connu) en raison de ses points communs avec le pilpoul, cet art si juif du commentaire infini. Rarement la conversation se sera imposée de manière aussi évidente qu’ici comme une forme de littérature orale. L’ancienne dénonciation de ce que l’oralité peut avoir de fallacieux tombe devant l’échange en ligne ; elle devient inopérante tant la confusion des genres y est immédiate, l’écrit y étant oral. » Sur le blog de Pierre Assouline s’accomplit la prophétie d’Andrew Keen : « L’information aujourd’hui est devenue une conversation. L’article sera seulement le début de cette conversation. »
Il s’agit d’une conversation du troisième type, avec ses « propres canons » qui ont « d’ores et déjà intégré ceux de l’ancienne conversation », ceux de La Rochefoucauld ou ceux dont Molière se moquait dans
Les Précieuses ridicules avec le « Voiturez-nous ici les commodités de la conversation », car la conversation en ligne oblige à redéfinir le code du savoir-vivre. Que recherche ce sujet nouveau qu’est le « commentateur » en entrant dans la blogosphère, que recouvre sa « frénésie » d’expression ? Est-ce, comme le dit Alain Baudemont, qu’« il recherche (…) l’Amitié, l’individualisme exprimé, et il veut que sa parole écrite, même dans le plus furtif de l’instant, son instant d’écriture, soit pris en compte, et qu’on lui témoigne de “l’intérêt”, en tant qu’être humain. En tant qu’il est un être humain » ? Ou est-ce ce moment où « le
se transforme en arène », déversoir de la violence ordinaire peuplée de « trolls » capables de cumuler à eux seuls les onze péchés capitaux identifiés par l’abbé Morellet en 1812 dans son
Traité de la conversation : « L’inattention, l’habitude d’interrompre et de parler plu-sieurs à la fois, l’empressement trop grand de montrer de l’esprit, l’égoïsme, le despotisme, le pédantisme, le défaut de suite dans la conversation, l’esprit de plaisanterie, l’esprit de contradiction, la dispute, la conversation particulière substituée à la conversation générale. »
Passou (c’est le surnom amical de Pierre Assouline, abréviation de son adresse mail qui commence par « passouline@ ») ne tranche pas la question mais nous dévoile ses confessions sur une expérience où, « pour la première fois, le journaliste et le critique se trouvent confrontés à un courrier des lecteurs, non pas privé, filtré et sporadique, mais un véritable flux en public et en direct » qui l’a conduit « du salon au ring, et du ring au divan ». Malgré les apparences, c’est loin d’être donné à tout le monde : on sait que le taux de mortalité des blogs dépasse très largement celui de leur natalité. Combien de journalistes et de critiques sont-ils en train de s’y casser les dents ? Il faut, pour réussir dans cet exercice, un talent singulier fait d’intelligence et d’une culture qui ne peut être feinte, où l’esprit doit constamment jongler entre une certaine profondeur et la légèreté de l’humour, un talent que l’on retrouve dans ce livre.
Léo Scheer
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