LE VIEIL HOMME ET LE TEMPS.
Ce jour là, comme tous les vendredis, je fais mes courses
au supermarché du quartier.
Et, comme souvent, je suis pressé, filant entre les rayons
à l'allure d'un bolide, faisant à peine attention à ce que
j'achète.
En entrant, je croise un couple de personnes âgées. Ils
semblent un peu ridicules dans leurs costumes du dimanche,
se déplaçant avec lenteur, lui tirant un cabas sur roulette,
elle s'accrochant désespérément au veston de son mari.
Je les retrouve dans chaque rayon. L'allure que leur impose
le grand âge est irritante, j'aimerais passer devant, mais
leur caddy bouche toujours le passage.
A plusieurs reprises, je fonce avant qu'ils ne s'engagent,
de peur qu'ils ne me passent devant et ne me retardent davantage.
Dans l'urgence, je laisse mon caddy au milieu de l'allée et
je fonds sur les packs de bouteilles d'eau, j'en prends un, deux... Je n'ai pas entendu venir le couple paisible qui derrière moi traîne les pieds sans bruit, et je manque de renverser le grand-père qui stoppe net alors que je manœuvre pour porter mes bouteilles dans le caddy.
Je suis confus mais, toujours très pressé, je lance un bref
« Ah... excusez-moi, je ne vous avais pas vu ».
Le grand-père lève la tête, me sourit et d'un ton à la fois
aristocratique et doux me dit :
« Je vous en prie Monsieur, nous avons tout notre temps ».
« Nous avons tout notre temps »... la phrase résonne dans ma tête.
Je termine mes emplettes à 100 à l'heure, mais arrivé dans la
voiture, je reste songeur. Je repense à ce qu'a dit le vieil
homme : il doit avoir 80 ans passés et il dit avoir le temps !
Quelle leçon pour tous ceux qui, comme moi, agissent trop souvent comme si leur dernière heure était proche...
Depuis, je l'entends souvent me dire « Nous avons tout notre
temps ». Je me donne le droit d'avoir tout mon temps, car mon temps est à moi et c'est moi qui décide ce que je fais de mon temps et non le temps qui me guide ma conduite.
« C'est au moment où l'on a pas le temps qu'on devrait se détendre. ».
...Sydney Harris